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Parallèles Parallèles

Parallèles

Michèle Frank & René Wiroth, VALENTINY foundation, 2019

 

Vernissage

Je voudrais d’abord remercier la Fondation Valentiny et les deux artistes Michèle Frank et René Wiroth qui m’ont fait l’insigne honneur de me permettre de prononcer ces quelques mots aujourd’hui.

En principe, il importe peu de savoir si on aime un artiste quand on aime son œuvre. Il arrive même que le créateur de l’œuvre qu’on aime ne soit pas aimable. C’est sans importance. Un créateur peut être détestable et admirable. Tous ceux qui aiment Voyage au bout de la nuit et méprisent Céline en sont témoins. Il est parfois préférable de ne jamais rencontrer l’auteur de productions artistiques qu’on adore, pour éviter de cruelles déceptions.

Et puis, fort heureusement, la confusion entre l’amour qu’on porte à l’œuvre et à son auteur, peut aussi exister. C’est le cas aujourd’hui.

Cela ne me disqualifie pourtant pas pour dire, des artistes comme de leurs productions, tout le bien que j’en pense.

Car, c’est vrai, Michèle et René sont des amis. De vrais amis. De grands amis. Des amis de bien plus de trente ans. Des amis fidèles et loyaux, des amis chaleureux, débordant d’affection et de prévenance. Des amis fraternels et solidaires. Des amis de cœur, en un mot.

L’une comme l’autre. Qu’il est difficile de dissocier. Dans l’amour qu’on leur porte. Dans l’amour qu’ils se portent. Dans leur démarche artistique. Dans leur vie. Qu’il est difficile de dissocier… et pourtant. Et pourtant, cette magnifique exposition, idéalement présentée dans cet endroit si bien adapté qu’il semble être un véritable écrin pour leurs œuvres, cette exposition s’intitule « Parallèles ». Or, des parallèles ne se rencontrent jamais, alors que ces deux-là sont inséparables. On connaît trop les qualités littéraires de Michèle et le goût de René pour la langue française pour penser à une erreur dans le choix des mots. Il doit donc y avoir une bonne raison à ce titre.

Parallèles. Cela souligne en réalité l’existence de deux entités distinctes. Fusionnelles mais pas fusionnées. Pour mieux comprendre cette nécessité dialectique de la différence dans la création, il est bon de se référer à l’évolution. Rien moins. Durant des millions d’années, un se divisait en plusieurs, et la vie continuait. Des espèces unicellulaires primitives se divisaient et leur patrimoine génétique survivait.. Mais ce seul système de reproduction était très limité et ne menait pas à des organismes très complexes, pas plus qu’il ne garantissait la diversité. L’évolution mis donc au point un système bien plus performant : la meïose. Pour faire simple, disons que l’évolution a inventé la procréation. Un ne se divise plus en deux mais deux combinent leurs différences pour faire un troisième. La combinaison de milliers de gènes différents donne des milliards de résultats possibles et chaque nouveau né est forcément nouveau et unique.. Et la procréation a permis à l’évolution de franchir un pas décisif. Chaque nouvel être étant vraiment nouveau, la survie des espèces était assurée, grâce à la procréation. Deux êtres différents s’unissent et donnent naissance à un troisième être, tout neuf et unique. La condition à cette création d’un être nouveau et unique, c’est que les géniteurs soient différents.

Évidemment, si en plus, ils s’aiment et prennent du plaisir en respectant ces règles de l’évolution, c’est encore mieux.

La proximité génétique des deux parents est interdite, car elle provoquerait la dégénérescence de l’espèce par consanguinité. Ces caractéristiques génétiques peuvent d’ailleurs être étendues aux réalités sociologiques : les sociétés qui ne sont pas variées, sont avariées.

Elles peuvent aussi être étendues à la création artistique. Michèle et René créent ensemble. Mais séparément. Ils sont très proches mais différents.
Du point de vue physique, c’est évident au premier coup d’œil. Il y en une des deux qui est très bien.

Mais du point de vue artistique, cette différence s’observe dans les techniques, les matières, les recherches… Et ils sont aussi différents dans leur façon d’observer, leur appréhension du réel ; leur manière de traduire et de transmettre. Cependant, l’un n’existerait pas totalement sans l’autre. Et leurs pro-créations doivent toujours au regard, à la présence, aux encouragements, aux conseils ou aux critiques de l’autre. Cette complicité rare n’existe pas sans indulgence, elle ne survit pas sans exigence.

Deux ne font pas un, deux font un troisième ; qui est bien plus que la somme des deux réunis. Leurs personnalités distinctes s’enrichissent et leurs œuvres en profitent. Comme autant d’enfants nés de l’amour, toujours nouveaux, toujours uniques.

Ils ne créent pas à quatre mains, ils créent à deux cœurs et à deux âmes.

Le résultat est là, sous vos yeux. Et quel résultat !

De plus en plus à l’aise dans les grands ou très grands formats, Michèle s’emploie à traduire l’indicible.
Imaginons que le Petit Prince n’ait pas demandé au pilote « S’il vous plait dessine-moi un mouton». Mais « s’il vous plait, dessine moi la tendresse ». Ou l’espoir. Ou la mélancolie. Ou l’amour, la jalousie, la nostalgie, la tristesse. Ou encore le désir, la peur, la complicité. Le pilote n’aurait pu tenter d’exprimer ces sentiments qu’avec des mots, aucune caisse mal dessinée ne pouvant lui permettre de se défiler. La littérature, le théâtre ou le cinéma peuvent s’attacher à exprimer concrètement des sentiments.

Les arts plastiques ou la musique ont ce pouvoir unique de les faire partager, au-delà de la représentation. La transmission est directe, sans filtre, sans intervention tierce, sans déformation. La conversation entre celle qui a peint et celui qui regarde n’est pas soumise à traduction. L’émetteur et le récepteur sont directement connectés. Et il importe peu de savoir si le récepteur perçoit exactement ce que l’émetteur avait envoyé par son tableau. L’essentiel étant qu’il reçoive.

Dès lors, l’appellation consacrée abstraction lyrique s’avère trop peu éloquente. Car la justesse du geste, le dynamisme du mouvement, le mariage des couleurs, la force qui émerge, surgissant du cadre avec tant d’énergie… donnent autant à voir qu’à ressentir, avec une vigueur qui n’a rien d’abstrait. Quant au lyrisme, il se mue bien souvent en sensation tragique, romantique, pathétique, érotique, lymphatique ou extatique, au gré des sentiments de l’artiste et de ceux de nous tous, qui plongeons dans ses tableaux. Que ces sentiments soient différents n’altère pas le partage.

Enfermée dans son atelier, Michèle Frank a un accès illimité à l’universel. Sa volonté de partage est son principal moteur ; sa générosité, son talent, son savoir-faire, la complicité de René et son envie permanente étant les composants de son carburant.
Ce besoin impératif de partage et d’union a conduit Michèle Frank à laisser parfois ses pinceaux pour s’adonner à l’écriture. Et dans ses romans, la même démarche, le même désir de partager des émotions, des sentiments, d’établir un lien unique, profond et puissant avec le lecteur, créent les conditions de cette fameuse connexion.

Elle ne décrit pas quand elle écrit, pas plus qu’elle ne dépeint quand elle peint.

Il s’agit pour elle, quel que soit le vecteur de son propos, d’éviter les tamis et les rideaux qui pourraient altérer la densité de son échange. Il s’agit d’aller à l’essentiel, résumé par les trois B qui devraient fonder l’humanité : le bien, le bon et le beau. (Michèle lira prochainement, ici même, des extraits de son dernier roman, il faut le noter).

Alors qu’elle flotte dans les voiles, légers ou fougueux, oniriques ou ténébreux, opaques ou diaphanes de ses créations, René se confronte à la matière et à la troisième dimension. Il n’a pas d’exclusive quant aux matériaux qu’il soumet à sa fantaisie créative. Plâtre, bronze, plexiglas, bois, cuivre, plastique… peu importe… car ils servent tous la sublimation de l’humanité.

Homme, femme, homme femme ou femme homme, femme âme ou homme forme, ses œuvres récentes n’évoquent pas l’androgynie mais bien l’unicité dans la duplicité. Ce mystère du couple qui n’existe que par la complémentarité des différences et l’unité de la passion.
Parfois, René Wiroth s’emploie à immortaliser l’instant, à figer le mouvement, à pétrifier la durée. Ses sculptures deviennent des instantanés qui ont pourtant capturé la trajectoire du temps, ce qui leur interdit de se mourir d’immobilité.
Donner une troisième dimension à une personnalité, un trait de caractère, une humeur, une attitude éphémère, c’est leur offrir la quatrième dimension.

René Wiroth réussit ce tour de magie parce qu’il n’est prisonnier de rien. Ni d’académisme, ni de mode, ni d’idéologie dominante. Il est aussi rebelle que ses cheveux en bataille et aussi humain que son regard empreint d’une infinie tendresse. Il est en recherche permanente d’équilibre, qu’il entend non pas comme un compromis mais comme une lutte permanente entre deux abimes. L’équilibre est un combat, jamais gagné d’avance, entre des forces qui ne s’annihilent que lorsqu’elles sont d’égale puissance. René Wiroth sait le moyen de les neutraliser, pour transformer leur combat en grâce et en harmonie. Et chacune de ses œuvres, qu’elle explore la méditation, l’action, l’hésitation, la détermination ou l’union, est une contribution à l’apaisement d’un monde désordonné. Il n’est pourtant pas un partisan de l’ordre mais le défenseur d’un chaos fécond, capable de fertiliser les cœurs et les esprits.

Il n’est pas partisan de l’ordre, lui l’insoumis qui, comme Michèle avec la littérature, a une autre corde à son archet. Quand il ne sculpte pas, René fait du violon sauvage. Il chevauche un violon non domestiqué, ni dressé ni même débourré et ses rodéos fantastiques le font galoper dans des prairies aux herbes folles, parsemées de bosquets de tendresse, de haies de révolte, de ravins de fureur, de torrents de passion, pour le plus grand bonheur de ceux qui suivent ses chevauchées épiques.
Alors, à regarder leurs œuvres ou à observer leurs vies, on se dit que ce titre, Parallèles » est en fait bien trouvé.

Car Michèle Frank et René Wiroth sont aussi parallèles, comme les deux rails d’une même voie qui mène à cette quête à la fois paisible et fougueuse d’un absolu d’autant plus excitant qu’il est inaccessible.

Claude Frisoni
VALENTINY foundation
9 novembre 2019