Image Image Image Image Image

Errances

CENTRE CULTUREL de FORBACH

« L’art est une blessure qui devient lumière. » (Braque)

La vie est une blessure qu’on reçoit, qu’on inflige, qui se cicatrise pour s’étioler comme des racines dans la peau, dans le cœur, dans la tête, comme un cri au fond de la gorge, pour jaillir dès que la moindre égratignure la fait resurgir de l’oubli…

L’artiste devient ordonnateur de sa vie en créant son monde propre. Tout comme une pièce de théâtre, un tableau peut être une séquence de vie, une descente dans le temps, une caricature comique ou dramatique de l’homme placé dans un décor ou dans des situations qui peuvent être banales mais amplifiées par le vécu affectif propre.

L’œuvre d’art devient le halo du réel, s’ouvre sur le sens défiguré des choses, rompt les mesures qu’imposent à l’homme les nécessités de la soumission au monde pour survivre et lui donne la possibilité d’exorciser la souffrance qu’implique cet effort d’adaptation.

Seule la création se réalise dans cette ambiguïté constante entre la réalité et l’imagination, dans l’obéissance à sa logique propre. Elle permet donc de transcender le réel et de recréer un monde où l’opposition entre les différents moi et la confrontation de ceux-ci avec le monde extérieur ne provoquent plus de conflits. Si la vie est trop souvent destruction du moi, la création est sa réincarnation dans un défi au réel par l’éclaircissement du rêve. Elle permet de vivre deux vies parallèles, qui ne peuvent se rejoindre, l’une étant l’essence de l’autre, idéalisation et donc située sur un plan infiniment plus élevé. L’une étant finalement l’esquisse, l’autre sa réalisation dans l’obéissance totale à son imaginaire personnel, à son propre critère de beauté.

Mes peintures sont les décors dans lesquels j’évolue dans mes rêves et mes cauchemars, à la recherche d’une harmonie intérieure et picturale.

L’art fait du trou d’ombre qu’est l’homme un trou de lumière.

Comme le dit Rainer Maria Rilke : « Le Beau n’est que le commencement du terrible, ce que tout juste nous pouvons supporter, et nous l’admirons tant parce qu’il dédaigne de nous détruire », et Hubert Reeves dans Poussières d’Etoiles – « La beauté de l’univers n’est pas à notre mesure. » Ni à la mesure de celui qui la contemple, ni à la mesure de celui qui tente de saisir ce que la vie et l’univers ont d’éternellement rayonnant et de réaliser cette opération mystérieuse, vibrante, qu’est la création quelle qu’elle soit. Mais elle seule permet de devenir ordonnateur de sa vie dans son univers propre.

L’art fait du trou d’ombre qu’est l’homme un trou de lumière, par l’acte même de la création. Le rêve de chaque artiste est certainement ce désir fou que cette lumière jaillisse de ce trou aux yeux de tous. Malheureusement, seuls les très grands artistes y parviennent. Mais si la recherche de la Beauté peut permettre la cicatrisation de ces blessures secrètes ou visibles, plus ou moins perceptibles pour soi et à plus forte raison pour les autres, blessures dont la profondeur est si subjective, la tentation du Beau, subjectif lui aussi, vaut bien la peine qu’on y succombe.

Michèle Frank