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Exposition – Gallerie 47 – Virton

Présentation de Michèle Frank

à la galerie 47 Virton

par Guy Goffette*

Puisqu’on m’a demandé avec chaleureuse insistance et beaucoup d’agréments et beaucoup d’imprudence de présenter un peintre dont jusqu’à ce jour j’ignorais jusqu’au nom – et je le prie de me pardonner cette ignorance – puisque, de surcroît, je ne suis ni peintre ni critique de peinture ni diplômé ès Beaux-Arts, ni même coureur d’expositions ou grand amateur d’art, je réunis donc aujourd’hui toutes les qualités requises pour être au milieu de vous le plus innocent des spectateurs et le plus surpris des présentateurs. L’innocence, la surprise, voilà peut-être deux des atouts majeurs du quidam entrant par erreur dans une salle d’exposition… pourvu, toutefois, qu’on ne vienne pas lui demander son avis. Si, par inadvertance, on le lui demande, comme c’est le cas pour moi aujourd’hui, il y a beaucoup de chances pour qu’il ne débite pas les habituelles phrases creuses, interchangeables qu’on entend généralement en pareil lieu, mais qu’il se contente de dire : c’est beau, c’est vif, c’est plein de couleurs qui réchauffent, de mouvements qui emportent l’œil et les sens, réveillent la mémoire, retroussent la jupe d’un présent qu’on croyait à jamais gris, pluvieux, menaçant, que sais-je ? Et si vous poussez un peu dans ses retranchements le quidam que je suis, si vous le poussez avec la mine dubitative ou interrogative de circonstance, si vous lui demandez de s’expliquer un peu, sous prétexte que ce qu’il va dire vous intéresse bigrement, peut-être vous avouera-t-il alors qu’il n’est pas entré ici tout à fait par hasard, mais qu’il a vu d’abord cette affiche sur la porte, la vitrine et qu’il n’a pu résister à cause de ce soleil, de cette lune au milieu entraînée, tourneboulée dans un affolement de vagues bleues au, à l’inverse, entraînant, tourneboulant le tourbillon qu’il embrase, et ce n’est peut-être en fait que la vision d’un crépuscule qui se reflète sur l’eau paisible d’un lac, un ciel crépusculairement nuageux, allez savoir. Avec cette escalade de bleus, de verts, de rose, de mauve – on dirait que toute la palette y passe ! – mais ce n’est pas l’apocalypse pourtant que je ne puis me représenter que dans les rouges, toute la gamme brossée à grands traits furieux, sang et cendre. Non, le flamboiement ici est d’un bleu qui s’allume en vert et c’est, une furie douce, une danse caressante, un enveloppement maternel de la lumière, centre et source du tableau, comme un gros bébé joufflu. On dirait, couché, paisible, dans le giron du monde, indifférent à ce qui tourne autour dans le tablier du ciel et de la terre.
Voilà ce qui m’a fait entrer. Enfin… presque. Car, pour être tout à fait sincère, ajoutera-t-il, ce n est pas tant cette Vision générale du tableau qui a forcé ma décision que les petites touches tendres de peinture à droite et à gauche de la toile, ce reposoir de couleurs douces qui tient à distance respectable, une espèce d’arbre noir déraciné qui menace là-haut, à gauche, et en bas, à droite, l’assoupissement du ciel. Ce sont elles qui m’ont retenu et décidé, leur inexplicable joie, leur silence, leur placidité de cristal de velours. Et surtout, surtout le geste du peintre qui les a mises là, comme on dépose un trésor, ce geste comme d’instinct qui rend à la matière tout son poids, confirme sa valeur et sa richesse d’expression.
J’ai été intrigué, dira-t-il, touché, séduit par ce geste-là et voilà, j’ai franchi le seuil et je suis là parmi vous, et je regarde, je regarde comme vous, avec vous, surpris, fasciné et je ne peux plus que me taire car c’est le moment où, comme disait Claudel, » I’œil écoute ». Derrière la vivacité des couleurs, leur désordre ordonné, leur sereine folie, l’œil écoute en moi. Un appel encore indistinct en prolonge l’écho, le rebond, la résonance dans mon imagination errante. Et chacun de vous fait de même, reconstruisant inconsciemment son propre tableau, le recréant en toute liberté et ce faisant, il signe avec l’artiste l’œuvre qu’ils partagent désormais puisque l’œuvre n’existe que si elle est regardée, reçue intimement, reconnue que si s’installe entre la main qui crée et l’œil qui recrée -ce dialogue en confiance, cette communion dans la différence qu’appelle tout art authentique. J’ajouterai seulement ceci qu’on vient de me souffler à l’oreille : Michèle Frank, Anaïs en peinture, est née, à Châtellerault, en France, et vit au Luxembourg. -Professeur de français, puis d’allemand, elle donne aussi depuis quelques années des cours de peinture. Car la peinture, la couleur exerce sur elle depuis longtemps un ascendant que le pouvoir des mots n’a pas réussi à renverser. Et chacun sait, qu’on ne résiste pas longtemps à ce qui vous hante. Aussi Michèle Frank s’est-elle peu à peu laisser conduire par Anaïs. Jusqu’à la passion. Peinture à l’huile, pastels, gravures et aquarelles, tous les moyens lui sont bons, tous les supports – le papier, la toile, la soie, le crêpe de Chine, j’en passe – pourvu qu’à travers eux son imaginaire tourmenté puisse s’exprimer, et ses désirs, ses angoisses, et la jouissance aussi que lui procurent la liberté de l’espace et le maniement des couleurs. C’est tout cela qu’elle veut partager avec le spectateur, cette liberté et cette jouissance qui sont au fond de l’homme et qu’il. faut faire exister pour contrer la laideur et la brutalité d’un monde dominé par le goût du pouvoir et du lucre. Que ce « supplément d’âme », comme disait je ne sais plus qui, rende chacun à lui-même et l’agrandisse, c’est ce que je vous souhaite aujourd’hui Anaïs que je remercie d’avance ici et que je félicite chaleureusement.

* Guy Goffette, écrivain et poète, a publié cinq ouvrages chez Gallimard et neuf autres dans diverses maison d’éditions. Il a été sollicité par Yvet Aubert (Galerie 47 à Virton-Belgique) pour la présentation de l’exposition lors du vernissage.